Intervention de SEM Alexandre Orlov, Ambassadeur de la Fédération de Russie en France à la Conférence organisée par le Club des diplômés de Harvard (Monaco, le 27 mars 2015)

Alex OrlovMesdames, Messieurs,

Nous vivons à une époque trouble.
Un personnage d’un roman de Mikhaïl Bulgakov – le professeur Préobrajensky déconseillait la lecture des journaux soviétiques avant le déjeuner. Profession oblige, – je lis beaucoup la presse occidentale, et croyez-moi ce n’est guère mieux pour la digestion que la presse soviétique.
Tous les jours j’apprends par la presse que les trois menaces au monde moderne sont dans l’ordre la Russie, l’Ebola et l’Etat Islamique.
On me raconte que la Russie est un Etat-agresseur qui a annexé la Crimée. Mais on omet de dire que 96% d’habitants de la péninsule se sont prononcés lors d’un référendum pour le retour vers leur patrie.
On me raconte que plus de 6 mille personnes civiles ont péri dans le conflit du Sud-Est de l’Ukraine. Mais on oublie de préciser que ces gens ont été tués par l’armée ukrainienne.
On me raconte que ce conflit a fait des centaines de milliers de réfugiés. Ce que l’on ne dit pas c’est que la majorité écrasante d’entre eux se sont réfugiés en Russie.
On me raconte que mon pays va d’ici au lendemain envahir la Pologne et les Républiques Baltes pour ne s’arrêter, comme l’a prédit un général britannique, qu’au Portugal…
C’est quoi? Du délire paranoïaque?
Non. Cela s’appelle la guerre de l’information. Exalter la haine de la Russie. Créer l’image d’un ennemi.
Peut-être devrait-t-on suivre le conseil du professeur Préobrajensky et ne pas lire de journaux du tout? Ou plutôt se retourner vers la comédie de Griboïedov « Le malheur d’avoir de l’esprit » et la question éternelle de Tchatsky: « Ces juges… qui sont-ils? »
La coïncidence ne parait-t-elle pas bizarre, que les premiers à accuser la Russie de tous les torts sont les états qui eux n’arrêtaient pas ces dernières années à piétiner le droit international?
Ceux qui ont soutenu les séparatistes du Kosovo, qui ont bombardé Belgrade et amputé la Serbie de 20% de sont territoire, et ceci, notons-le au passage, sans aucun référendum. Ceux qui ont inventé un faux prétexte pour envahir et puis pousser dans le bourbier de la guerre civile l’Irak. Ceux qui ont pactisé avec les islamistes radicaux, d’Al-Qaïda à l’Etat Islamique, pour leur faire la guerre après. Ceux qui ont aidé les « insurgés » à démembrer la Libye, désormais en proie au chaos et à la guerre civile. Ceux qui livrent des armes au « insurgés » syriens, prétendant qui si le régime de Damas tombe, la démocratie s’installera à sa place, quoi qu’ils comprennent bien que ce ne sera pas la démocratie, mais le Daech. Et à part ça les prisons secrètes, les tortures, la surveillance globale…

Bref, « qui sont ces juges »?
La question reste rhétorique. Nous vivons dans un monde cynique. Depuis longtemps déjà les « deux poids deux mesures » sont devenu une trait inaliénable de la politique extérieure des États-Unis et de leurs satellites.
La diabolisation de la Russie en Occident atteint  une limite dangereuse.
Les historiens font déjà des parallèles avec le début de la Première Guerre Mondiale, parlent d’une ambiance « d’avant-guerre ». Vraiment on a l’impression que quelqu’un est en train de préparer l’opinion publique à la guerre contre la Russie, comme avant on la préparait à l’agression en Serbie, en Irak, en Libye…
Mais c’est la perte complète du sentiment de réalité. L’oubli total des leçons de l’histoire. Je ne cherche à effrayer personne, mais la guerre contre la Russie ce serait la fin de l’humanité. Et au nom de quoi? Peut-être pour les nationalistes ukrainiens qui ont pris le pouvoir à Kiev, qui terrorisent la population russe et glorifient les collabos nazis, qui ont ruiné l’économie ukrainienne et vivent sous perfusion financière européenne?
Peut-être qu’il est temps de se raviser? D’arrêter cette « spirale de la folie » comme l’a appelé Jean-Pierre Chevènement, avant qu’il ne soit trop tard?
Mail d’abord il faudra répondre à la question que se posent les personnages du dernier film d’un grand réalisateur russe Nikita Mikhalkov « Le coup de soleil »: « Comment cela a pu arriver »?
Comment est arrivée cette crise si profonde dans nos relations avec l’Occident?
 
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Il y a quelques mois nous avons célébré ensemble le 25-ème anniversaire de la chute du mur de Berlin. A cette époque, il y a un quart de siècle de cela, nous les russes nous avons sincèrement cru à l’arrivée d’une nouvelle ère sur notre continent. Nous avons cru au monde sans lignes de partages ni confrontation des blocs, où la lutte pour les zones d’influence resterait dans le passé. Nous pensions pouvoir réaliser enfin le rêve de Ch. de Gaulle, F. Mitterrand et M. Gorbatchev – celle de la « maison commune européenne » de l’Atlantique au Pacifique.
Après la chute de l’URSS la politique étrangère de la Russie suivait la logique de la coopération et de l’intégration avec l’Occident. Jusqu’au dernier moment toutes nos initiatives visaient le rapprochement avec l’Union Européenne. Moscou prônait l’espace commun avec l’Europe dans les domaines économique et humain, la suppression des visas, la sécurité égale et indivisible en Euro-Atlantique, la coopération dans la lutte contre l’islamisme radical et autres menaces globales.
En développant l’intégration au sein de la CEI nous n’avons jamais cherché à l’opposer à l’intégration européenne. Dès le début nous nous sommes prononcés pour la complémentarité et l’harmonisation de ces processus. L’Union Économique Eurasienne avait vocation à devenir, à côté de l’Union Européenne, un des piliers de la « Grande Europe » du futur – l’espace commun d’intégration de Lisbonne à Vladivostok.
Mais que-est-ce que nous avons eu en réponse?
Ce que le politologue russe Sergheï Karaganov a baptisé le « Système de Versailles en gants de velours ».
L’élargissement continue de l’OTAN et le rapprochement de son infrastructure militaire à nos frontières. L’installation d’un bouclier antimissile, susceptible de compromettre le potentiel russe de dissuasion nucléaire. Le soutien de toutes les forces antirusses qui surgissent dans notre voisinage y compris celle qui sont ouvertement néo-nazies. Le soutien de l’islam radical dans le nord du Caucase. Tentatives d’effacer nos liens économiques avec les pays voisins y compris par l’initiative du « Partenariat oriental ».
Dans nos relations avec l’Occident nous avons suivi la logique d’intégration, mais celui-ci a répondu par la logique des zones d’influence.
Aujourd’hui on voit très bien que l’objectif poursuivi n’était point de construire « la maison commune » mais d’arracher à la Russie ou de lui rendre hostiles le maximum de ses voisins.
Il s’est avéré que les occidentaux n’ont pas démolis le mur de Berlin, ils l’ont juste déplacé vers la frontière russe.
La confrontation n’a pas été notre choix. Nous essayions de rester patients et responsables. Mais lorsque les lignes rouges sont dépassées, lorsque sont mis en jeux nos intérêts vitaux, nous sommes obligés de réagir. Là où nos partenaires occidentaux se laissent trop emporter par la logique des zones d’influences il ne nous reste qu’à suivre la « logique de réponse », ou si vous voulez celle de « légitime défense ».
C’est ce qui s’est passé en août 2008, lorsque la Géorgie a essayé avec la bénédiction des Etats-Unis de résoudre par la force son conflit gelé avec l’Ossétie Sud et a attaqué les casques bleus russes.
C’est ce qui s’est passé en mars 2014, après la prise du pouvoir à Kiev par les nationalistes ukrainiens, quand la Crimée a décidé  sa réunification avec la Russie.
C’est étonnant quand-même, que la Russie qui est tout simplement obligée de défendre sa sécurité, se retrouve impudemment accusée d’intentions agressives. Une blague me revient à l’esprit. M. J.Stoltenberg parle à l’OTAN de la politique de plus en plus agressive de la Russie, et lorsqu’on lui demande en quoi précisément consiste son agressivité le Secrétaire Général répond: « Mais voyons! Elle se rapproche de plus en plus de nos bases militaires! »
 
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Derrière le nouveau « système de Versailles » il y des forces qui tirent profit de maintenir la division du continent et d’encourager la perception de la Russie en tant qu’adversaire principal de l’Union Européenne. Quelles sont ces forces?
Premièrement – les États-Unis. Les américains ne cachent pas leur objectif majeur qui est de conserver leur hégémonie uni polaire. Pour cela, il leur faut freiner le processus objectif de la formation du monde polycentrique. La politique d’endiguement des acteurs internationaux qui osent manifester leur indépendance dans la politique étrangère, la Russie et la Chine en premier lieu, est menée d’une manière de plus en plus dure et agressive.
Les américains cherchent à brouiller la Russie et l’Union Européenne, à enfoncer un coin entre eux. L’essentiel est d’empêcher la création de la « Grande Europe » qui serait un nouveau pôle politique et économique. Forçant l’Union Européenne de tourner le dos à son partenaire de l’Est, ils affaiblissent non seulement la Russie. En premier lieu, ils fragilisent l’UE. Le mythe de la « menace russe » leur permet de tenir l’Europe sous un contrôle politique et militaire étroit sans la laisser voler de ses propres ailes en tant qu’acteur fort, indépendant et global.
Deuxièmement, la bureaucratie otanesque qui, comme toute bureaucratie, se soucie de sa propre survie et de sa reproduction élargie. Présenter la Russie sous l’image d’un ennemi aide l’OTAN à retrouver sa « raison d’être » disparue depuis la chute de l’URSS, peu importe qu’elle soit parfaitement imaginaire et artificielle. L’essentiel est de justifier ses salaires et de gonfler les dépenses militaires.
Troisièmement, certains de nos voisins est-européens. Les élites politiques de la Pologne et des pays Baltes cherchent à forger leur identité nationale sur l’image de « victimes éternelles » de l’expansionnisme russe. La « menace russe »  leur est indispensable comme l’air. Sans elle, ils perdent une partie de leur conscience nationale.
Pourtant, cette haine de la Russie est non seulement injuste et infondée sur le plan historique. Elle est tout simplement indigne des peuples dont l’histoire et la culture sont suffisamment riches pour bâtir leur identité sur des réalisations positives et non pas sur les rancunes et les complexes. Leur comportement est insensé. Au lieu de devenir les principaux partisans du rapprochement entre l’UE et la Russie, ce qui serait pour eux un gage de sécurité et de prospérité économique, ils persévèrent dans l’intention de devenir des « états frontaliers ». D’ailleurs, leurs phobies imaginaires déboussolent aussi les pays de la Veille Europe.
Ainsi il est clair qui et pourquoi a besoin de cette mythique « menace russe ». Il est aussi évident que ce mythe a un impact extrêmement néfaste sur tout le système de la sécurité européenne et mondiale. D’autant qu’il n’a rien à voir avec les intérêts de base de l’Union Européenne ni avec les intérêts à long terme des Etats-Unis eux-mêmes.
 
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Est-ce qu’on peut considérer que cette confrontation imposée à la Russie par l’Occident est une nouvelle guerre froide?
Dans le sens traditionnel de ce terme – non. La « guerre froide » était une confrontation idéologique de deux systèmes sociaux et politique différents. Aujourd’hui entre nous et l’Occident il n’y a pas d’antagonisme civilisationnel ou idéologique. La Russie moderne est un Etat démocratique avec une économie de marché. Avec ses traditions et ses particularités. Avec ses défauts aussi. Mais qui n’en a pas? Cela fait deux siècles que les français construisent leur démocratie et ils trouvent toujours des raisons pour en être mécontents.
La Russie est un pays occidental, si bien sûr on entend sous le terme « d’Occident » un certain modèle civilisationnel et pas l’OTAN. Un modèle qui s’est formé en Europe de l’Ouest, mais dont ni les États-Unis, ni l’Union Européenne n’ont depuis longtemps aucun monopole.
Ainsi la crise actuelle dans les relations entre la Russie et l’Occident n’a rien d’un « choc des civilisations » ou des modèles du développement. C’est de la géopolitique pure et dure, une tentative d’endiguer la Russie en tant qu’acteur indépendant dans le monde multipolaire en cours de formation.
 
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On entend souvent que les relations entre la Russie et l’Occident se sont dégradées à cause de l’Ukraine. Que s’est la crise ukrainienne qui a provoqué celle du système de la sécurité européenne. Ce n’est pas du tout correct.
En fait c’est la dégradation progressive des relations entre la Russie et l’Occident au cours de 25 dernières années qui a abouti à la crise en Ukraine. Les évènements tragiques en Ukraine sont le résultat inévitable de la politique des zones d’influence, de la politique d’isolement de la Russie menée par les Etats-Unis et leurs satellites tout au long de cette période.
Cependant, la crise ukrainienne est devenue le catalyseur de l’exacerbation des relations entre la Russie et les États-Unis. Elle a fait tomber les masques. Elle a mis en évidence et accéléré les processus négatifs qui couvaient sous des formes voilées et plus douces.
L’Ukraine est devenue l’instrument dans les mains des États-Unis avec lequel ils cherchent à affaiblir la Russie et l’Union Européenne.
Bien évidemment, la crise ukrainienne a aussi des raisons purement intérieures.
Pour les comprendre il faut se rappeler que l’Ukraine s’est formée dans ses frontières actuelles dans le cadre de l’URSS – les territoires « ethniques » ukrainiens se sont vu rattachés ceux du Sud-Est, de Donetsk à Odessa, peuplés de russes. L’Ukraine se développait comme une république où cohabitaient les peuples russe et ukrainien. Cela rappelle la Belgique, la Suisse, la Grande-Bretagne, le Canada. De tels États polyethniques peuvent préserver leur intégrité uniquement sur la base de la concorde interethnique et d’une profonde décentralisation. Ceci étant il faut aussi comprendre que contrairement par exemple à la Belgique, la « frontière ethnique » entre les russes et ukrainiens est transparente – au sens large nous sommes le même peuple.
Imaginez la réaction des wallons si les nationalistes flamands organisaient leur Maïdan sur la Grande Place bruxelloise, usurpaient le pouvoir et proclamaient l’objectif d’une Belgique mono-ethnique.
En fait c’est ce qui s’est passé à Kiev.
L’Ukraine est un État à un niveau de vie bas où les esprits contestataires ont toujours été forts. A la fin de 2013 le mouvement contestataire – le Maïdan – a gagné les grandes masses de la population. Plusieurs citoyens – ukrainiens comme russes – se sont levés contre le pouvoir corrompu et les oligarques, pour les changements démocratiques et le rapprochement avec l’Union Européenne.
La tragédie de l’Ukraine est que le Maïdan a dégénéré en émeute nationaliste et russophobe, dominé par des forces nationalistes et pour certaine ouvertement néo-nazies. En février 2014 le pays a vécu la prise du pouvoir par les armes. Un régime retraçant sa généalogie jusqu’à Bandera et Choukhevitch, nationalistes agressifs et complices d’Hitler, s’est établi à Kiev. Un régime dont une des premières démarches fut la tentative d’abroger le statut officiel de la langue russe dans les régions traditionnellement russophones.
La réponse d’une partie de la population du pays qui ne voulait pas vivre dans cette « Ukraine pour les ukrainiens » ne s’est pas fait attendre.
La république de Crimée a décidé par référendum sa réunification avec la Russie, ceci en conformité parfaite avec la Charte de l’ONU et le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. N’oublions pas qu’en ce moment dramatique la Constitution de l’Ukraine venait d’être bafouée à Kiev. Le pays n’avait plus de pouvoir central légitime. C’est alors que les autorités de Crimée, qui elles avaient gardé leur légitimité se sont adressées à la Russie pour lui demander d’assurer la sécurité du vote libre des citoyens de la région autonome. Ce qui a été fait.
Les protestations ont commencé également dans les régions russophones du Sud-Est.
Au départ elles avaient un caractère pacifique. Pourtant, Kiev a répondu aux revendications politiques par des arrestations et des répressions. Les manifestants ont répliqué par la prise des bâtiments publics – les habitants du Donbass n’ont fait que « copier » les actions des militants du Maïdan à Kiev et à Lvov. Le régime de Kiev a répondu par une opération militaire avec l’utilisation d’armes lourdes, provoquant de nombreuses victimes parmi les civils et une vraie catastrophe humanitaire. Le refus de Kiev de prendre en compte les intérêts légitimes de la population du Sud-Est a plongé le pays dans le bourbier de la guerre civile.

Les révolutions et les coups d’États tournent souvent en guerres civiles. Une partie de la société n’accepte pas les changements et les vainqueurs ne veulent pas négocier. Une partie de la population ukrainienne n’a pas accepté le Maïdan. Non pas parce que ces gens-là rejetaient la démocratie et adoraient la corruption, comme voudraient le présenter certain medias occidentaux. Ils on rejeté l’idéologie du nationalisme ukrainien. La population russe et une partie de l’ukrainienne se sont rebellés contre le régime nationaliste ayant usurpé le pouvoir en Ukraine.

Il est difficile d’imaginer que les gens qui on voté pour la réunification de la Crimée avec la Russie ou se sont battus pour la liberté dans le Donbass l’ont fait contre la démocratie. Ils ne faisaient que défendre leur identité. D’ailleurs qu’est-ce donc que cette  » démocratie » où les gens sont brûlés vifs à Odessa, où les villes du Donbass sont pilonnées par des bombes incendiaires ou à sous-munitions, interdites par les conventions internationales, et où de vraies purges ethniques sont organisées? Où l’on, peut interdire tout parti d’opposition, éradiquer tout pluralisme et partager le pays entre oligarques?
Tout cela ce sont les ressorts intérieurs de la crise. Ils auraient pu ne jamais être actionnés, si l’Ukraine n’était devenue une monnaie d’échange dans un jeu politique dangereux, monté par les Etats-Unis et leurs satellites, contre la Russie.
Ils ont mis le pays devant un choix artificiel – soit vous êtes avec la Russie, soit vous êtes avec l’Union Européenne et l’OTAN. Cela dit aucune garantie d’adhésion à ces deux organismes n’a été présentée à Kiev. Ils ont refusé les propositions de Moscou visant à harmoniser les processus de l’association de l’Ukraine avec l’UE et sa participation à la zone de libre-échange de la CEI. Ils ont profité de la décision du président Yanoukovich de reporter (seulement reporter, il ne s’agissait pas d’y renoncer) la signature de l’accord d’association avec l’UE pour alimenter les sentiments protestataires. Ils ont tout fait pour canaliser le soulèvement dans le sens anti-russe recherché par ses protagonistes.
Ce sont eux les responsables du déclenchement de la guerre civile en Ukraine et des milliers de victimes civiles.
Déjà, au début de la crise la Russie mettait en garde contre un tel scénario, exhortant à entamer un dialogue national. La solution, nous la voyions dans plus d’autonomie pour les régions et l’octroi à la communauté russe des garanties du respect de ses droits. Mais Kiev et ses parrains occidentaux ont misé sur la répression militaire de protestations. Les États-Unis encourageaient ouvertement les dirigeants ukrainiens au recours à la force, leur recommandant juste de « faire preuve de retenue ».
Néanmoins, ils ne sont pas parvenus à leurs fins et n’ont pas réussi à mater la résistance du Donbass.
Les accords de Minsk prévoient un statut spécial pour les régions de l’Est de l’Ukraine. Est-ce qu’il fallait vraiment verser des rivières de sangs pour admettre que dès le début la Russie avait raison de demander la décentralisation?
De plus, la mise en application du volet économique de l’accord d’association est reportée à 2016. Mais c’est bien ce qu’avait demandé Yanoukovich. Celui-là a été proclamé « dictateur » et renversé. Maintenant c’est le tour de Porochenko de faire une « pause », puisque lui-même a compris qu’une période transitoire serait nécessaire.
 
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La crise ukrainienne doit servir de leçon à tout le monde.
Il est important qu’en Europe on soit en train de réévaluer – même si l’on peut regretter la lenteur de ce processus – les événements ukrainiens. Au fur et à mesure les politiciens et les sociétés européens prennent conscience de l’inadéquation du cap politique antérieur, des dangers que représentent l’alignement aveugle sur les États-Unis et la confrontation avec la Russie, l’inefficacité des sanctions à l’égard de notre pays.
Nous apprécions beaucoup les efforts du président Hollande, qui a initié le format de négociations dit « de Normandie » et a joué un rôle personnel important dans l’organisation des pourparlers et l’élaboration des accords de Minsk.
Qui d’autre si ce n’est la France, avec ses traditions gaulliennes et son leadership au sein de l’Union Européenne, pouvait pour prendre ses responsabilités et faire sortir l’Europe de cette « spirale de la folie », dans laquelle elle s’était retrouvée.
La tâche principale est d’arrêter la guerre civile en Ukraine. Le chemin est bien connu – l’application des accords de Minsk.
Il est préoccupant que le « parti de la guerre » reste très fort à Kiev. L’hystérie au sujet de « l’agression russe », la poursuite de la guerre dans le Donbass – tout cela sert à détourner l’attention des gens de la situation catastrophique de l’économie et justifier ses propres échecs par des menées ennemies.
En général le nationalisme a besoin d’ennemis extérieurs. Il a besoin de guerre. Le régime kiévien est en train de bâtir une nouvelle identité ukrainienne basée sur le rejet de la Russie et de tout ce qui est russe – de la langue, de la culture, de l’histoire. Et en fin de comptes – sur le rejet d’une partie de sa propre population.
Il est évident que les autorités kiéviennes sont contrôlées par les américains, qui eux ont besoin d’un conflit permanent, larvé dans le ventre-mou de la Russie, d’une escalade de tension sur les frontières de l’Union européenne.
Pour l’instant Kiev a fait une pause tactique, pour, comme l’a confié il y a quelques jours Donald Tusk, « reprendre son souffle ». Mais que nous prépare l’avenir?
C’est dans une large mesure de la volonté politique et de la fermeté des européens, et de leur capacité d’assagir les dirigeants de Kiev que cela va dépendre.
La crise ukrainienne a clairement confirmé ce dont la Russie n’a pas arrêté de parler ces dernières années. Les lignes de partage et les zones d’influence ne sauront jamais assurer la sécurité sur notre continent.
Il faut revenir au projet de construction « d’une maison européenne commune » – d’un espace sécuritaire, économique et humanitaire commun, qui s’étend de l’Atlantique au Pacifique.
En fait, il s’agit d’une forme de coopération mutuellement avantageuse entre la Russie et l’Union européenne pour aboutir à terme aux standards communs, à une libre circulation des personnes, des marchandises, des services et des capitaux. Nous sommes convaincus que la synergie de ressources et des potentiels technologiques et humains de l’UE et de la Russie leur permettrait de devenir plus compétitives, et ceci à plusieurs termes, dans ce monde polycentrique en gestation.
Encore une chose – à ce stade il serait plus judicieux de parler d’un espace commun non pas avec la Russie, mais plutôt avec l’Union économique eurasienne.
La création de l’Union économique eurasienne, contrairement aux idées reçues, n’est pas « un projet impérial » du Kremlin, ni une tentative de reconstituer l’URSS. L’initiative de l’Union économique eurasienne appartient au président kazakh Nursultan Nazarbaev et il s’agit d’une union des Etats souverains. Cela devient patent si l’on analyse les positions respectives de ses pays-membres sur la scène internationale.
Le développement d’intégration dans l’espace postsoviétique est un processus objectif, conditionné par les intérêts vitaux de nos pays. Aujourd’hui il est largement reconnu que l’intégration économique régionale devient partout, de l’Europe à l’Amérique Latine, un instrument efficace pour élargir les marchés et améliorer sa compétitivité. C’est la voie naturelle. Comme il est tout à fait normal que les pays postsoviétiques soient associés aux processus d’intégration eurasiens – il existe entre eux des liens économiques et humanitaires séculaires.
L’Union économique eurasienne est une des formes d’autoorganisation de l’espace eurasien, fédérant les pays, qui pour différentes raisons ne peuvent ou ne veulent pas devenir membres de l’Union Européenne.
L’étape suivante qui nous parait logique serait le rapprochement entre L’Union économique eurasienne et l’Union Européenne, allant jusqu’à la formation d’un espace commun de Lisbonne à Vladivostok. C’est dans cette perspective à long terme que le Président Poutine a proposé au sommet Russie-UE en janvier 2014 à Bruxelles de commencer le travail visant à instituer une zone de libre-échange entre l’UE et l’Union économique eurasienne. Malheureusement cette proposition a été rejetée.
Généralement, l’Union Européenne préfère feindre « de ne pas s’apercevoir » des processus d’intégration en Eurasie, ignorer l’Union eurasienne et ses institutions. Ceci est un exemple de plus de l’absence chez nos partenaires de volonté de reconnaître et d’accepter les réalités du monde multipolaire.
Le rapprochement entre l’Union Européenne et l’Union économique eurasienne – qui a été déjà baptisé « l’intégration des intégrations » – aurait vidé de son sens la lutte pour les zones d’influence sur le continent européen et permettrait à l’Ukraine d’être non pas une « pomme de discorde », mais « un pont » liant l’EU et la Russie. Cela aiderait à réconcilier les « deux Ukraines » – celle de l’Ouest et celle de l’Est – octroyant « la meilleure des garanties extérieures » de l’intégrité territoriale du pays.
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