Bourdelle ou la discipline au secours du génie

Malgré un environnement morose et l’ombre de la tour Montparnasse, le musée Bourdelle reste un endroit charmant, surtout grâce à ses jardins un peu sauvages mais semés de statues grandioses. Raison de plus pour y aller actuellement : il accueille jusqu’au 29 janvier une remarquable exposition d’esquisses et d’études à l’encre du grand artiste qui avait coutume de recommander à ses élèves (Matisse, Maillol, Germaine Richier, Giacometti :  rien que du — futur — beau linge): « Ce n’est pas un peu qu’il faut dessiner, c’est constamment. Le dessin c’est de la discipline et c’est là que résidait la grande force d’Ingres. La base de la beauté, le savoir, c’est le dessin. La sculpture, finalement, ce n’est pas autre chose que du dessin dans tous les sens. »

Une règle d’or que les faiseurs (et les admirateurs) de l’art « comptant pour rien » devraient se répéter cent fois par jour. Au reste, Antoine Bourdelle  qui, né en 1861 et mort en 1929, assista au triomphe du cubisme, jugeait sans indulgence cette école, qu’il n’hésite pas à caricaturer de manière assez drolatique dans des tableautins exposés ici. Pour lui, Picasso et ses émules ne sont que des « marchands de ballons » dont un enfant aurait piqué d’une épingle l’une des baudruches, ne laissant que du vide, car pour eux seule compte l’apparence, provocatrice par essence, « alors que tout doit être intérieur ». Que dirait-il aujourd’hui des sinistres plaisantins dont, avec les encouragements des affairistes et des media incultes, les « œuvres » dérisoires défigurent les    plus beaux bâtiments français, de Versailles à l’hôtel Jacques Cœur en passant par le Louvre et le palais des Papes ?

Pourtant, Bourdelle fut en son temps considéré par un moderne au point que le monument aux morts de la guerre de 70 qu’il avait conçu pour son Montauban natal fut catégoriquement refusé par les édiles de cette ville, qui ne retirèrent leur veto qu’après intervention de Rodin, dont l’enfant du pays avait longtemps été le praticien. Mais cette modernité est avant tout nourrie de tradition. Et d’un travail acharné. Le jeune Bourdelle avait en effet fait son apprentissage auprès de son père ébéniste (« ouvrier viril », auquel il rend un émouvant hommage) avant d’obtenir une bourse pour les Beaux-Arts de Toulouse. Puis de gagner Paris où le sculpteur sur bois adolescent gagna bientôt ses lettres de noblesse. Sans jamais cesser de noircir dès l’aube des liasses de canson où il dessine et redessine sans relâche ici le tympan d’une église (il a une tendresse particulière pour les anges de la cathédrale de Reims, dont l’incendie pendant la Grande Guerre le jettera dans le désespoir et lui inspirera de sublimes études), là une statue du Louvre ou des scènes de la mythologie égyptienne, ailleurs de pittoresques silhouettes humaines et même des cochons, tous d’une morphologie impeccable et frémissants de vie. Sans parler de sa seconde épouse Cleopatra et de sa fille Rhodia qui, comme ses modèles, lui procurent d’inépuisables sujets d’esquisses ou de pastels comme on peut le voir dans la présente exposition. Où l’on admirera aussi les innombrables études qu’il fit pour l’une de ses œuvres les plus célèbres, l’Héraclès archer (alors qu’il abat les oiseaux du lac Stymphale), sculpture formidable de force et de tension que l’on peut contempler tout son saoul dans le premier jardin, ainsi que d’autres œuvres impressionnantes comme son Adam ou le cheval du général argentin Alvear, dont le gigantesque monument se dresse toujours à Buenos Aires.

Pour vous laver les yeux de toutes les horreurs encombrant galeries chic et musées suivistes, courez donc au musée Bourdelle qui possède  près de 6 000 dessins (crayon, fusain, encre, aquarelle…) du grand sculpteur, ami d’Anatole France dont il fit plusieurs bustes. C’est dire que le sujet n’est pas encore épuisé…

Claude Lorne

Musée Bourdelle

18, rue Antoine Bourdelle, 75015. Ouvert tous les jours de 10h à 18h sauf lundis et jours fériés.

Activités culturelles et pédagogiques autour de l’exposition : ateliers, contes, visite conférence… Tél. 01 49 54 73 73. Site internet :

www.bourdelle.paris.fr.

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